Monday, January 9, 2023

La liberté de pratiquer sa religion est-elle menacée au Mali ?

 L’hebdomadaire chrétien Missions rapporte ceci:

« Depuis un certain temps, le village de Douna est menacé par les djihadistes.

Le 04 Janvier 2023, ils sont revenus encore dans ce même village pour demander aux deux communautés chrétiennes de fermer les églises. Il est donc désormais interdit de sonner les cloches, de jouer les instruments de musiques et de prier dans les églises.

Ce qui est encore plus inquiétant, c'est « qu'ils demandent aux chrétiens de pratiquer désormais la religion musulmane ». L'heure est plus que grave. »

Je suis parfaitement conscient que c’est risqué, très risqué, de discuter de religion au Mali. Mais vu la gravité de la situation, j’accepte de prendre ce risque.

En effet, obliger quelqu’un à changer de religion est une violation grave des droits de l’homme.  Et ce n’est pas seulement parce que ce sont des gens qui partagent la même religion que moi qui sont concernés. Je dirais la même chose, peu importe la foi de ceux qu’on veut obliger de changer de religion.

                                                               Photo d'une église 


Une exigence illégale

L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit ceci: « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. »

L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ajoute ceci : « Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix. »

L’article 4 de la Constitution malienne de 1992 va dans le même sens et stipule que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d'opinion, d'expression et de création dans le respect de la loi. »

Obliger les gens, qui qu’ils soient, de fermer leurs églises et, plus grave, d’adopter une autre religion, c’est donc illégal et contraire à tous les textes de droit national et international.

On me répondra que ceux qui font ça se moquent de la légalité, et qu’ils ont une autre conception du droit. Pour eux, la seule religion qui a droit de cité est l’islam. On me répondra sans doute que ces djihadistes sont des marginaux, qu’ils ne sont pas représentatifs de la société malienne où les gens de différentes religions ont toujours cohabité pacifiquement. C’est vrai.

De la nécessité de défendre la laïcité

Je pense tout de même qu’il est plus que jamais nécessaire de défendre la laïcité au Mali car elle me semble menacée, et pas seulement par les groupes dits djihadistes. Ces derniers mois, beaucoup de gens, y compris des leaders religieux, se sont exprimés pour réclamer la suppression du caractère laïc de l’Etat malien. En tant que chrétien vivant pendant une grande partie de l’année au Mali, cette revendication m’a inquiété. Ceux qui réclament la suppression de la laïcité n’ont pas à ma connaissance proposé une forme alternative qu’ils voulaient donner à l’Etat malien, et c’est ce qui est inquiétant car on ignore leur projet. Mais historiquement, le contraire d’un Etat laïc est une théocratie. Étant donné que la majorité de la population au Mali sont des musulmans, on a des raisons de croire que ceux qui veulent supprimer la laïcité veulent faire du Mali un Etat islamique.  

J’ai eu l’opportunité de discuter avec un professeur d’université, arabophone et grand connaisseur de la théologie islamique, et qui soutient aussi qu’on supprime la laïcité de la Constitution malienne. Je lui ai exprimé mes inquiétudes. « Si vous supprimez la laïcité, c’est que vous voulez instaurer un Etat islamique. Qu’est-ce que nous les Chrétiens allons devenir ?», lui ai-je dit.  Il m’a expliqué que non, que l’objectif n’est pas d’instaurer la charia. Que le problème de la laïcité malienne est qu’elle promeut l’athéisme en interdisant d’enseigner la religion à l’école. Que même si on applique la charia au Mali, les croyants des autres religions n’auront rien à craindre. Que la charia s’applique seulement aux Musulmans, et que les autres seront libres de pratiquer leur religion. Qu’un musulman qui sera pris en train de boire de l’alcool sera puni conformément à la charia, et qu’un chrétien pourra boire de l’alcool s’il veut.  

Ce discours ne m’a pas convaincu et ce que font les mouvements djihadistes dans ce village de Douna me semble être un avant-gout de ce que subiraient les autres religions si le Mali adoptait les lois islamiques comme mode de gouvernement.  

Il est donc important que l’Etat malien, qui est toujours laïc,  se donne les moyens de protéger non seulement la vie de tous les citoyens qui vivent sur son territoire, mais aussi leur droit de pratiquer librement leur religion.

No comments:

Post a Comment

La liberté de pratiquer sa religion est-elle menacée au Mali ?

  L’hebdomadaire chrétien Missions rapporte ceci: «  Depuis un certain temps, le village de Douna est menacé par les djihadistes. Le 0...